Je suis alcoolique.

Et je suis abstinent depuis le 4 septembre 2016. Ce qui signifie que je n’ai pas consommé une seule goutte de boisson alcoolisée depuis lors.

Le mot « alcoolique » peut choquer. Mais c’est que je suis. Je souffre de dépendance à l’alcool. Je ne peux pas contrôler ma consommation, et celle-ci m’entraîne à être quelqu’un qui n’est pas moi. Devant cette totale impuissance, j’ai décidé de ne plus mener un combat perdu d’avance. Alors je ne bois pas. Je ne bois plus. Mais je suis alcoolique.

Pour toujours.

Si vous me lisez toujours, peut-être le saviez-vous, peut-être pas. Peut-être ne me connaissez-vous pas suffisamment pour vous faire une opinion ; peut-être n’aviez-vous rien remarqué ; peut-être aviez-vous un doute. Peu importe. Je le dis ouvertement, sans crainte et même sans peur du jugement. Je suis alcoolique. Alcoolo-dépendant. Buveur à problème. Alcoolomane. Ethylomane. J’ai une relation inappropriée avec l’alcool.

J’ai cependant eu une chance : celle d’en avoir pris conscience. De m’être dit que le chemin que je suivais n’avait qu’une seule issue : une mort prématurée. J’ai réalisé que je n’avais aucun contrôle sur l’alcool, que c’est lui qui me contrôlait. J’ai voulu y remédier, et j’ai pris des mesures, qui me permettent aujourd’hui de vivre la vie que je désire, de me sentir comme la « meilleure version de moi-même ». J’ai repris ma vie en main et tout mis en place que l’alcool ne soit plus une obsession, une entrave, un frein, ou quoi que ce soit d’autre.

Quelques années ont passé depuis mes débuts sur ce chemin d’abstinence. Années pendant lesquelles j’ai appris à vivre avec ce passager sinistre. Ou plutôt sans lui. En fait, arrêter de boire c’est la chose la plus facile du monde. Vivre sereinement sans alcool, ça c’est plus délicat. C’est un travail d’une vie.

J’ai réalisé que je n’avais aucun espoir de « guérir ». Je me considère comme malade incurable. Chaque jour je suis en rémission. Je ne deviendrai jamais un « buveur normal » qui s’arrête quand il veut, jamais. L’alcool a sur moi une telle emprise que tout contact entraînerait une catastrophe personnelle. Je me souviens de ce que j’étais quand je le fréquentais, et je ne veux pas redevenir ça. A aucun prix.

Je ne tire pas de fierté de mon abstinence. Ce n’est plus vraiment un combat, c’est devenu une habitude autant qu’une nécessité. Vivre sans alcool est devenu ma zone de confort. Je n’ai pas besoin d’encouragement car je n’ai ni nostalgie ni manque. Je ne suis aucunement malheureux de ne plus consommer, c’est tout le contraire. J’ai fini par comprendre que vivre sans boire est même plus que possible, c’est un bonheur permanent. C’est une vie dans laquelle je ne me demande plus ce que j’ai fait ou dit la veille. Une vie où j’assume tous mes actes en conscience. Une vie où si j’adopte des comportements inappropriés, j’en suis le seul et unique responsable.

Ma prise de conscience et les outils que j’ai mis en place pour me sortir de mon état de consommateur extrêmement problématique vient de la chance que j’ai eu à la fois de réaliser de mon état de délabrement, et d’avoir pu immédiatement rencontrer des gens comme moi, qui savaient exactement ce que je vivais car ils avaient vécu les mêmes affres. J’ai parlé. J’ai partagé. J’ai entendu raconter à de nombreuses reprises des morceaux de ma propre histoire, et je n’ai ainsi plus jamais été seul.

Cette relation épouvantable avec l’alcool, c’est MON problème. C’est entre l’alcool et moi.

L’alcool se trouve dans mon entourage. Tant mieux pour lui. Aujourd’hui il m’indiffère. Je sais qu’il est plus fort que moi, c’est tout. Je n’attaque plus à un adversaire plus fort que moi car il sera toujours le plus fort. Mon défi c’est chaque jour de ne pas commencer. Car je sais que ce n’est pas le dernier verre qu’on a bu qui provoque les problèmes. C’est le premier. Celui qui entraîne tous les autres. S’il n’y a pas de premier, il n’y a ni second ni dernier. Il n’y a rien.

Je ne m’occupe pas des autres. Sauf si « les autres », ce sont d’autres personnes qui sont également en difficulté avec l’alcool, et qui me demandent de l’aide. Dans ce cas, j’essaie de leur faire profiter de mon expérience.

Mais je ne m’occupe de la consommation et des habitudes de personne. Je ne m’occupe en rien de prévention. Je ne juge pas. Ce que VOUS buvez ne me regarde en rien du tout. Ca ne me gêne absolument pas. Je ne suis pas anti-alcool au sens large. C’est juste que lui et moi, on ne s’entend pas, et ça s’arrête là.

Vous pouvez sans problème boire de l’alcool devant moi. Ca m’indiffère. Je gère maintenant mes limites. Si vous ne savez rien de mon problème, vous avez le droit de me proposer un verre, je le refuserai toujours poliment, et je ne chercherai pas de faux prétexte. Non, je ne bois pas, je ne bois plus, et c’est comme ça. Je ne désire plus me justifier de ne pas boire. L’alcool est sans doute la seule drogue dont il faut encore régulièrement se justifier de ne pas prendre. Moi je ne me justifie plus.

Ne pas me voir boire vous rend mal à l’aise ? C’est votre problème, pas le mien. Insistez, et je m’en vais. Vous ne me convaincrez pas. Ca ne fonctionnera pas. Je me connais et je tiens trop à ma vie telle qu’elle est maintenant. Même votre éventuel inconfort social ne provoquerait rien d’autre que de l’indifférence chez moi. Je m’en fous que vous vous en mettiez une devant moi ; sachez juste que je n’ai rien à vous dire alors, et qu’on reparlera quand vous serez à jeun.

Avec l’expérience, l’introspection et le recul, j’ai pu identifier les signes qui montraient que j’étais un buveur à problème :

Je me trouvais des raisons de boire, et je me justifiais à propos de tout. C’était toujours la faute de quelque chose ou quelqu’un. Or c’est faux. Personne ne m’a jamais rien versé de force dans le gosier. On ne boit pas à cause de quelqu’un si ce n’est soi-même.

Je mentais. Pathologiquement. Je m’inventais des occasions de pouvoir assouvir mon vice quand elles ne se présentaient pas spontanément. Et surtout : je me mentais à moi-même.

J’étais sincèrement persuadé que j’avais le contrôle et que personne ne pouvait remarquer que j’étais sous emprise

J’étais dans un déni constant et perpétuel. Déni constant de la réalité de ma condition de buveur à problème. Au point que je finissais par croire à mes propres mensonges

Je n’écoutais l’avis de personne. Et pourtant nombreux sont ceux et celles qui ont voulu m’aider, qui ont voulu provoquer une prise de conscience. Mais ils n’ont pas pu. Ils n’auraient pas pu. On ne peut pas aider quelqu’un qui ne veut pas être aidé, et on ne peut pas sauver quelqu’un qui sciemment fait tout pour se détruire.

Je ne « goûtais » plus le produit, je ne cherchais que l’effet. Ce que ça goûtait n’avait aucune importance, tant que c’était fort.

Les années ont passé. Je suis heureux d’être qui je suis aujourd’hui.

Bien que la formulation soit assez violente et qu’elle soit régulièrement mal comprise, je dis ouvertement aujourd’hui que je suis « fier d’être alcoolique », car si je ne l’avais pas été, je ne serais pas devenu abstinent, et je n’aurais pas la qualité de vie que j’ai maintenant. Oui, si c’était à refaire, je referais pareil. Sans hésiter.
Aujourd’hui je me sens assez solide pour avouer mon état, pour en parler librement, et maintenant pour écrire sur le sujet. En parler à des personnes qui n’ont pas nécessairement le même rapport malsain avec l’alcool est aussi une barrière de plus, un moyen supplémentaire de m’empêcher de recommencer.

Je souffre encore, mais très différemment. Je souffre de voir des gens combattre une condition proche de la mienne en conscience sans y parvenir. Je souffre aussi de voir les victimes collatérales des consommations d’alcool abusives, ceux qui se prennent les conséquences sans les avoir provoquées, et qui se sentent responsables d’un problème auquel ils n’ont aucune part de responsabilité, et qui ne savent même pas qu’ils doivent être aidés.

Toutes ces raisons font que maintenant j’ai envie d’écrire.
Ouvertement. Pour qui veut le lire. En pleine conscience. Que ça n’intéresse personne est un risque je prends volontiers. Si j’écris c’est pour moi. Je caresse malgré tout l’espoir qu’il y ait quelqu’un, quelque part, que ça puisse aider d’une manière ou d’une autre. Moi je n’ai plus besoin qu’on m’aide vraiment avec l’alcool, j’ai mes outils en place.

Je suis Régis.

Je suis alcoolique.

Je suis l’éthylomane.

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